Lutte et cinéma

La lutte devient-elle à ce point à la mode en Inde que tout film la choisissant pour toile de fond soit garanti de cartonner au box-office ? C’est ce qui est arrivé à deux des plus grosses productions récentes de Bollywood. Sorti sur les écrans en juillet 2016, Sultan, d’Ali Abbas Zafar, a ramassé 3 milliards de roupies de recettes (42,5 millions d’euros) dans le sous-continent et 82,3 millions ­d’euros à l’échelle mondiale – la quatrième meilleure performance de tous les temps pour le cinéma indien. 

Produit et interprété par Aamir Khan, Dangal, sorti en décembre dernier, a fait encore plus fort, avec 3,7 milliards de roupies de recettes en Inde (52,5 millions d’euros) et 105 millions d’euros à l’international, approchant le record absolu des succès commerciaux en hindi, détenu depuis bientôt trois ans par le film d’extraterrestres PK.

 

Selon la critique de cinéma Ophélie Wiel, auteure de Bollywood et les autres. Voyage au cœur du cinéma indien (Buchet-Chastel, 2011), Sultan et Dangal ont d’abord attiré les foules parce que ­Salman Khan et Aamir Khan y tiennent respectivement le haut de l’affiche : « Tous les blockbusters où apparaissent ces superstars sont des succès grâce à leur immense base de fans. » Le sport n’a pas grand-chose à voir ici, dit-elle, « sauf s’il est mêlé à des élans patriotiques », comme ce fut le cas en 2007 avec Chak De ! India, un film qui racontait l’histoire d’une équipe nationale dames de hockey sur gazon, ou en 2001 avec Lagaan, dont l’action mêlait matchs de cricket et résistance à l’occupant britannique.

S’agissant de Sultan, les mauvaises langues sont formelles : la lutte est l’alibi trouvé par Salman Khan pour exhiber pour la première fois son torse à l’écran, et rien d’autre. Son personnage de lutteur perdant à la fois la tête et sa bien-aimée après avoir remporté une médaille d’or aux Jeux olympiques « permet à l’acteur de se vautrer sans effort dans sa propre médiocrité », estimait, sévère, le Mumbai Mirror à la sortie du film. Il n’empêche, le public a adoré 

 

Dans le biopic Dangal, en revanche, la lutte est clairement un moyen de surfer sur le vent nationaliste qui souffle actuellement en Inde. A tel point que le Pakistan a décidé de censurer deux scènes, où apparaissent le drapeau et l’hymne national indien... Poussant Aamir Khan à annuler la distribution du film dans ce pays. Celui-ci s’inspire d’une histoire vraie, celle de Mahavir Singh Phogat, un ancien champion qui n’a jamais remporté de médaille d’or internationale durant sa carrière. Pour se racheter, il décide de former ses filles à sa discipline et fait d’elles les premières lutteuses indiennes à monter sur le podium des Jeux du Commonwealth.

« Le succès de Dangal est stupéfiant », estime Nandini Ramnath, critique pour le site d’information Scroll, au regard du parcours d’Aamir Khan, qui se fait aujourd’hui « habilement passer pour l’incarnation de la classe moyenne » alors qu’il est issu d’une grande famille du cinéma. Il nourrit, affirme-t-elle, « le fantasme de l’homme ­ordinaire qui se bat contre un système corrompu », dans lequel les sportifs ne voient, il est vrai, que très rarement la couleur de l’argent public au cours de leur carrière. Est-ce à dire que les films indiens sur le sport réduisent la performance de l’athlète à un acte patriotique ? Dangal le laisse penser, en s’achevant sur l’hymne indien chanté par les acteurs.

 

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